Le Docteur Ramez Alzin d’AAVS nous détaille le projet de centres de soins primaires qui voit le jour dès janvier 2014

Docteur Alzin, parlez-nous du projet de création de centres de soins primaires en partenariat avec l’Union Européenne.
Rappelons d’abord que le système médical Syrien a toujours été organisé ainsi: un centre de soins primaires dans chaque localité, chaque village, avec plusieurs médecins de spécialité différente et des infirmières. Ces centres dépendaient du ministère de la santé. Ils assuraient les soins pour les maladies chroniques, les vaccinations etc. Aujourd’hui, du fait des événements, dans les zones libérées c’est-à dire qui ne sont plus sous le contrôle du gouvernement, les centres ont été parfois désertés, beaucoup de médecins sont partis. Parfois, ne sont restées que les infirmières. Dans certains centres, elles assurent seules le travail. On a décidé de recréer ces centres. On récupère les locaux pour les faire fonctionner de nouveau. Ces structures doivent aujourd’hui prendre en charge une population en augmentation. A la population des villes ou villages s’ajoute une population déplacée qui fuient des zones particulièrement bombardées. Il y a quelques mois, AAVS et l’UOSSM ont pris en charge 5 centres dans les zones libérées. A ces centres vont très bientôt s’ajouter 8 centres qui sont en cours de création et qui doivent être financés par l’Union Européenne. Une équipe de plusieurs personnes est actuellement sur place pour mettre la dernière main à ce projet sur lequel on négocie depuis plusieurs mois. Le Docteur Ahmad Bananeh de notre association est le responsable du Comité Premiers Soins au sein de l’UOSSM. C’est lui qui supervise l’opération. Les 4 premiers centres verront le jour début janvier.
Il y a d’autres centres encore?
Oui, il y a aussi 3 centres créés par Médecins du Monde . MDM ne veut plus travailler à l’intérieur de la Syrie, ce sont les médecins syriens qui doivent prendre le relais. L’organisation humanitaire a chargé l’UOSSM du fonctionnement de ces structures mais continuera à les financer. Pour un centre, c’est déjà décidé, pour les deux autres, on discute encore mais cela ne devrait pas poser de problème.
Nous allons gérer 4 autres centres de soins primaires qu’une association anglaise Save The Chidren est en train de créer. Nos collègues de l’UOSSM en Angleterre et l’association sont en train de finaliser le contrat. Donc, on a ces 4 centres plus nos 5 d’AAVS, les 8 de l’UE et les 3 probables de MDM, cela fait 21 en tout. C’est un projet très important.
Dans quelles régions se trouvent ces centres?
Bien sûr, les zones libérées et plus précisément la province d’Idlib, d’Alep, de Hama et jusqu’à la banlieue de Damas, la Ghouta ainsi que la partie est de la Syrie
Parfois, nous créons entièrement la structure, d’autres fois nous soutenons un projet existant qui fonctionne mais il faut le réorganiser et l’améliorer. Et le financer bien entendu. C’est le plus souvent le cas dans la région de Damas.
Quels sont les financements de l’Union Européenne?
Environ 3 millions d’euros ( en ajoutant une aide du Japon ). Cela permet de réaliser ces 8 structures, de les équiper et les faire f onctionner pendant un an.
Combien de médecins faut-il pour ces centres?
Pour l’appellation “Centre de Soins Primaires”, il faut respecter une structure définie par les normes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS): il faut un gynécologue, un pédiatre, un cardiologue, un médecin pour le diabète, un dentiste, il faut un kit de pharmacie et un laboratoire d’analyses. Si on a tout ça, on peut donner à notre structure le nom de Centre de Soins Primaires, niveau A. Ça c’est ce qu’on essaie de construire mais ce n’est pas toujours possible, alors on s’adapte. Il faut en principe 4 médecins. Mais on travaille avec les forces qu’on trouve sur le terrain! Certains médecins acceptent de se déplacer et d’aller travailler dans une autre ville pour rejoindre un centre où on a besoin d’eux. Pour d’autres, c’est difficile. En tous cas, il faut un pédiatre car plus de la moitié de la population, ce sont des enfants. Il faut aussi un gynéco et un généraliste, c’est indispensable. Le dentiste, si on l’a pas tout de suite, on verra pour plus tard. Il faut aussi un cadre infirmier.
On a un calendrier pour les centres en création?
Les 5 suivis par AAVS sont déjà en fonction; pour les centres de MDM , il s’agit là simplement d’une prise de relais; pour les 4 de Save The Children, le plan est prêt ainsi que les locaux, il reste encore à signer l’accord et on devrait les ouvrir à la fin 2013. Pour les 8 de l’Union Européenne, c’est en cours. On a signé l’accord cet été, il fallait 6 mois de préparation. Les 4 premiers centres ouvrent début janvier et les quatre autres en février ou mars. (Voir images vidéo et photos ci-dessous)
Peut-on espérer, avec la création de ces centres, le retour de médecins qui ont fui?
Les médecins qui ont fui dans les pays voisins et qui ne trouvent pas un travail, on espère les ramener en Syrie car on leur offre un salaire. Les financements de l’UE nous permettent de faire fonctionner les centres pendant un an. Nous avons donc de quoi les payer pendant un an.
Et après?
L’UE nous a dit: on verra. On va voir comment ça fonctionne et on verra.
Comment avez-vous convaincu l’UE de financer ce projet?
C’est un projet de l’UOSSM. Il a été présenté à l’Union Européenne par l’intermédiaire du Ministère des Affaires Etrangères français qui l’a défendu. Nous portons ce projet depuis le début de l’année 2013 quand on a vu le niveau général de la santé en Syrie se dégrader de manière dramatique avec la destruction des structures de soins soit dans les bombardements soit de manière délibérée et du fait aussi que les médecins sont persécutés et que beaucoup ont dû fuir à l’étranger. Là, il ne s’agit plus de soigner les victimes de guerre – il y a un certain nombre de structures pour ça – mais de centres pour soigner les gens de maladies ordinaires. Dans une ville que je ne veux pas nommer pour des raisons de sécurité, il y avait un centre de dialyse, il a été attaqué et détruit par un bombardement. Imaginez les conséquences pour ceux qui devaient faire deux séances par semaine? Nous avons installé cinq machines à l’hôpital de Bab Al Hawa en attendant que nous trouvions un endroit protégé pour rouvrir un centre de dialyses. Vous voyez, on s’adapte en permanence. A tout moment, nous prenons des décisions, nous modifions pour nous adapter à la situation.
De quoi ces centres ont-ils besoin?
Ce ne sont pas des centres de chirurgie mais des centres de soins. L’équipement pour les examens et les analyses est beaucoup moins coûteux. Ça, c’est financé. Le plus important, ce sont les salaires des médecins et des infirmières. Il faut qu’ils puissent vivre et faire vivre leur famille. Beaucoup de gens ont perdu leur travail en Syrie et le prix de la vie a augmenté de plus de trois fois. Les salaires, c’est le plus gros budget de l’UOSSM. C’est pour cela que nous devons sans cesse récolter de l’argent. Il faut payer les personnels de santé pour les convaincre de rester en Syrie. Dans les centres financés par l’UE, les médecins sont payés pendant un an , ceux de MDM seront financés pendant six mois. Vous voyez, il faut trouver impérativement de l’argent pour que ces centres puissent durer.
Ces centres vont-ils accueillir des médecins en mission?

Oui, il faudrait. Nous avons besoin de médecins qui partent en Syrie pour des missions de deux semaines ou 3 avec des spécialités particulières. Nous avons par exemple, un spécialiste du diabète qui part tous les mois, 5 jours par mois, dans un de nos centres. Il a sa liste de patients, il leur donne rendez-vous d’un mois sur l’autre! J’appelle tous les médecins intéressés à faire des missions de ce genre.

De gauche à droite: le Dr Bananeh, responsable du Comité de Soins Primaires à l’UOSSM, le Dr Alzin et des médecins de l’UOSSM Canada et Angleterre. Bab Al Hawa, Syrie du nord.

 

Les travaux de réhabilitation du bâtiment d’un centre de santé primaire à Al Mayadin, dans la région est du pays
Les travaux d’un autre centre dans la banlieue d’Alep
Ainsi que dans la ville même d’Alep

2013.11-Marjeh-المرجة