Le Dr Jubran Durbas est chirurgien vasculaire dans le centre hospitalier de Troyes, réfugié de guerre. Durant 3 ans, le Dr Jubran était formateur dans le centre de formation de Bab Al Awa soutenu par l’UOSSM France.

A l’occasion de la Journée Internationale des Migrants, il nous livre son témoignage.

Témoignage d'un réfugié syrien et ancien formateur de l'UOSSM France

A l’aube de la guerre, vous avez décidé de lancer un hôpital clandestin dans la région d’Alep. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa création ?

En 2011, j’étais interne en chirurgie vasculaire dans l’hôpital universitaire d’Alep, puis la guerre est arrivée. J’ai décidé de quitter l’université pour aider les civils bombardés dans les zones où il n’y avait pas de médecins.

Avec l’aide d’une trentaine de collègues, pour la plupart encore étudiant, nous avons créé le 1er hôpital clandestin dans un appartement d’Alep. Cette initiative a été créée par les soignants, pour les populations civiles. Le système de santé était en pleine destruction, c’est uniquement grâce à notre volonté que ce projet à vu le jour.

L’hôpital, s’appelait Omrad, Aled, Malek, Jubran.

Cet hôpital ne ressemblait en rien aux hôpitaux que vous avez l’habitude de côtoyer. Il était composé de 3 chambres : la 1ère dédiée aux urgences, la 2ème au suivi des patients et la 3ème, c’était le bloc opératoire. A l’époque, nous n’avions même pas de table opératoire à proprement parlé, il s’agissait uniquement d’une planche en bois que nous avons essayé de fixer pour opérer les patients.

Je suis resté dans cet hôpital jusqu’à mon arrivée en France en 2016. L’hôpital, c’était les soignants. Nous n'avions pas de moyen, pas d’équipement, pas de système de santé. Nous devions nous adapter avec les conditions que nous avions pour soigner un maximum de personnes.

Dans cet hôpital clandestin, à quelles pathologies étiez-vous confrontés ? 

En condition de guerre, nous recevions beaucoup de blessés liés aux bombardements. Des blessures béantes, des hémorragies, des fractures. En même temps, nous devions prendre en charge les pathologies du quotidien, les patients diabétiques, les accouchements plus ou moins compliqués et les césariennes d’urgence. Pour les femmes enceintes, il y avait très peu de gynécologue-obstétriciens. Ce sont les chirurgiens généralistes ou vasculaires qui ont dû apprendre à effectuer les césariennes.

Vous étiez chirurgien avant d’avoir le diplôme, quelle a été votre expérience la plus forte ?

Le premier patient que j’ai opéré, il est arrivé à minuit, nous ne pouvions pas le transférer ailleurs, car il n’y avait pas d’ailleurs. Nous avions juste besoin d’un petit ballonnet pour nettoyer son artère, mais nous ne l’avions pas. Ce ballonnet ne coûte que 10 euros. 10 euros pour sauver une vie. Pour sauver les patients, nous devions toujours trouver des alternatives pour pallier le manque d’équipement. Pour mon premier patient, ce fut une réussite.

Un autre jour, j’étais appelé pour une opération d’urgence pour une hémorragie à la jambe. Je n’avais pas vu son visage. Je me suis rendu compte à la suite de l’opération qu’il s’agissait d’un bon ami à moi, un pharmacien. Ce souvenir m’a particulièrement touché et dieu soit loué, mon ami est sain et sauf.

De manière générale, le plus touchant et dur, c’était de soigner les enfants. Ces traumatismes vasculaires, ces enfants qui arrivaient dans un état critique nécessitent une intervention d'urgence. A chaque fois que je soignais un enfant, je pensais constamment que ça aurait pu être les miens. Ma fille, mon fils, ma famille.

En Syrie, les médecins sont pris pour cibles. Avais-tu peur pour ta propre vie ?

Début 2016, un hôpital de MSF a été bombardé. J’ai perdu 7 de mes collègues, dont un ami. Malgré cette tristesse, je n’ai jamais eu peur. On le savait, qu’en travaillant dans ces hôpitaux et ces conditions, c’était risqué. Mais on a continué.

Je risquais ma vie pour sauver des vies. Notre vie était la même que celles des populations civiles. Cet engagement, nous le connaissions. Devant notre devoir citoyen et de médecin, nous devions nous engager, nous n’avions pas d’autres choix.

Une expérience heureuse ?

Je me rappelle, à minuit, deux patients sont arrivés avec des blessures vasculaires. L’un deux avait une main amputée à 95%. L’opération pour sauver sa main fut un succès ! 6 mois plus tard, mon patient m’a envoyé une photo de sa main, il arrive à bouger, manger et boire avec sa main. Si nous n’étions pas là, le patient aurait probablement perdu sa main.

Ce cas, je l’ai présenté à la faculté de médecine de Nancy et au CHU de Reims pour montrer le travail des soignants syriens en condition de guerre.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec l’UOSSM France ?

En contexte de guerre, l’afflux de patients est énorme. A l’époque, nous ne savions pas comment réagir et comment prioriser les patients. Nous n’avions pas la formation adéquate pour les prendre en charge. J’ai donc cherché de mon côté une formation pour pouvoir apprivoiser le traitement des blessures de guerre. C’est là que j’ai découvert la formation menée par l’ONG franco-syrienne UOSSM France avec le Dr Ziad Alissa et le Pr Raphaël Pitti. Je m’y suis rendu et j’ai participé à cette formation. Grâce à ce training, nous avons appris la technique de triage, compétence primordiale dans la médecine de guerre.

Par la suite, j’ai décidé de poursuivre l’aventure avec l’UOSSM France, car j’avais un message à transmettre à mes collègues syriens. De 2013 à 2016, en plus de mon travail à l’hôpital, je suis devenue moi-même formateur dans le centre de formation de Bab-Al-Awa pour la prise en charge des pathologies de guerre.

Quel message souhaitez-vous faire passer au monde entier ?

Aujourd’hui, 70% du système de santé est détruit. La situation est même encore plus grave qu’au début de la guerre. La communauté internationale abandonne le peuple syrien. Aujourd’hui, 8 hôpitaux sont en cours de fermeture faute de moyens. Pour les soignants, cela fait 10 ans qu’ils exercent leur métier sans aucun moyen. Ils arrivent à saturation, ils n’en peuvent plus.

A cela s’ajoute la pandémie. Les soignants doivent traiter tout type de pathologies en plus des cas critiques COVID. Pour la population, il est impossible de se confiner, les règles et mesures de protection sont quasi inexistantes.

J’ai gardé contact avec beaucoup de soignants à Idleb. Ils souhaitent passer un message et demandent au monde entier de les soutenir. Ils font un travail immense et remarquable dans une zone abandonnée par la communauté internationale. Il faut continuer de soutenir les ONG qui travaillent là-bas pour stabiliser la situation.

Découvrez le témoignage bouleversant de Jihed, médecin engagé

1 réfugié sur 5 est syrien

D’après le dernier rapport du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) paru en juin 2021 et mis à jour en novembre 2021 (1), 84 millions de personnes sont déplacés à l'intérieur ou à l'extérieur de leur pays. Ce chiffre alarmant est en constante augmentation puisque le nombre de déplacements forcés a doublé en l'espace de 10 ans.

Ces chiffres montrent une réalité accablante. Malgré les appels à un cessez-le-feu mondial depuis le début de la pandémie, les conflits continuent de chasser les personnes de leurs foyers.

« Derrière chaque chiffre se trouvent une personne forcée de fuir son foyer et un récit de déplacement, de dépossession et de souffrance » Filippo Grandi, Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés

Parmi ces déplacements, 48 millions sont des déplacés internes (IDP), 30,5 millions sont réfugiés - la plupart d'entre eux, accueillis dans les pays voisins - et 4,4 millions sont demandeurs d'asiles.

Avec 6,7 millions de déplacés internes et 5,6 millions de réfugiés dont 2,5 millions d'enfants (2), la population syrienne représente la plus grande crise de déplacés dans le monde. Plus de la moitié des Syriens ont été contraints de fuir leur foyer à cause de la violence de la guerre depuis 2011.

>> En savoir plus sur les réfugiés syriens <<

Webinaire Lundi 20 décembre - Journée Internationale des Migrants

Le Dr Jubran Durbas est chirurgien vasculaire à Troyes. Il est en France depuis 2016, après avoir vécu l’horreur de la guerre à Alep puis à Idleb en Syrie. De 2011 à 2016, l’hôpital, c’était lui. Il n’était pas encore diplômé qu’il devait opérer, suturer, soigner des blessures de guerre. Il n’était pas préparé. Sur son chemin, il a rencontré le Pr Raphaël Pitti et le Dr Ziad Alissa pour le former à la médecine de guerre.
Il est lui-même devenu formateur auprès de ses collègues médecins syriens.

À l'occasion de la Journée Internationale des Migrants, nous vous proposons de participer à ce dialogue à 3 voix entre ces médecins humanitaires aux parcours exemplaires :
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  • Pr Raphaël Pitti,anesthésiste-réanimateur, responsable formation UOSSM France
  • Dr Jubran Durbas, réfugié syrien, chirurgien vasculaire, membre UOSSM France
  • Dr Ziad Alissa, anesthésiste-réanimateur, président UOSSM France

Ce webinaire sera l’occasion de leur poser vos questions et de découvrir de plus près leur engagement.

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Sources : 
1) https://www.unhcr.org/refugee-statistics/
2) https://www.unicef.org/media/88336/file/2021-HAC-Syrian-refugees.pdf