Par le Pr Raphaël Pitti - Depuis le mois d’avril 2019 à Idleb, 47 structures médicales ont été détruites. 47 structures ! C’est toujours le même schéma depuis 2012… Moi-même, dans le premier hôpital où je me suis rendu à Al-Dana, dans la région d’Idleb, au troisième jour, l’hôpital était bombardé. De même lorsque je suis allé à Al-Bab, au nord-est d’Alep, en 2012, l’hôpital de la ville était déjà sous le feu des bombes.

Dans ces conditions, je considère que mes collègues syriens ont écrit une page de l’histoire de la médecine. Parce qu’ils sont dans une situation que nous ne pouvons même pas imaginer et qui ne s’est jamais vue dans l’histoire de la médecine. Ils sont en situation d’insécurité constante.

Les hôpitaux sont en permanence bombardés, en permanence ciblés. C’est véritablement un crime de guerre, un crime contre l’humanité, puisque c’est interdit. Et cependant, à chaque fois, ils recommencent. Ils retournent dans les décombres chercher le matériel encore fonctionnel et reconstruisent ailleurs un nouvel hôpital.

Par ce travail acharné et cette volonté sans faille, ils ont fait avancer la médecine ambulatoire. Imaginez, des patients qui font l’objet de chirurgies lourdes, comme des chirurgies vasculaires réparatrices, sont opérés et repartent immédiatement chez eux. Ils ne reviennent que pour les pansements. Parce qu’il est impossible de les garder hospitalisés dans cette situation-là. Les hôpitaux sont des endroits trop dangereux, et les soignants ont dû s’adapter à cela.

Ce dont je vous parle n’est pas nouveau. Ça dure depuis 8 ans ! Je vous assure que ces gens-là sont de véritables héros. Prenez par exemple, une fois où nous avons été bombardés à Bab al-Hawa, à la frontière avec la Turquie. Alors que nous étions en formation dans notre centre, nous avons entendu les bombardements, avons tout arrêté et décidé de nous réunir à l’hôpital de Bab al-Hawa, ouvert par l’UOSSM en 2013, dont les fondations sont celles d’un ancien centre commercial. Nous avons dit aux médecins : « on ferme, on s’en va. » Et ces médecins nous ont répondu, sans l’ombre d’un doute : « non, non, on reste ! ».

Depuis, malheureusement, beaucoup de spécialistes ont été tués ou sont partis, beaucoup de compétences sont parties. C’est pour ça que la formation est plus que nécessaire. Quand nous sommes allés sur le terrain avec l’UOSSM, nous avons constaté que des étudiants en médecine, remplaçaient les spécialistes. Que des gens qui étaient là, présents, devenaient infirmiers. Ils apprenaient à faire des piqûres, à faire des pansements. Qu’une femme de service, pouvait devenir infirmière. Et parce qu’ils manquaient de sages-femmes, là voilà qui devenait sage-femme.

Leur capacité à s’adapter à cette situation, pourtant intolérable, et leur résilience, est tout simplement admirable. Une bonne fois pour toute, ils méritent que le monde se mobilise pour leur protection. 30 travailleurs humanitaires ont été tués depuis avril 2019, plus de 750 depuis le début de la crise, cela ne suffit-il pas ?